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Tayc

C’est un surnom que sa maman, Camerounaise anglophone, lui donnait déjà tout gamin. Il ne s’agit pas ici d’honorer une certaine morale ultra libérale qui se moquerait de son prochain et qui glorifierait l’avidité sans scrupule. Non. Tout prendre, c’est plutôt chez Tayc, saisir les opportunités, avancer coûte que coûte, ne jamais rien lâcher pour honorer sa passion, la musique.

Tayc, 24 ans, né à Marseille et installé depuis son adolescence dans le 91, n’est pas un homme sans idéal. Au contraire. Il ne veut pas brûler les étapes, pas sacrifier la qualité sur l’autel de la rentabilité. Il est moins braqueur qu’architecte. Il veut édifier plus qu’arracher. Il veut enregistrer des chansons qui emmènent loin, il souhaite n’en faire qu’à sa tête. Il préfère, aux raccourcis trompeurs et aux clichés navrants, l’abnégation, la patience, l’effort, dépasser la douleur pour écrire son histoire à l’encre de l’authenticité. Ce sportif assidu, qui n’a jamais eu peur de suer sang et eau sur une machine de musculation, sait que celui qui respecte son anatomie a plus de chance d’aller loin. Esprit sain, corps sain, oui, il y a de ça. Indéniablement. C’est une force.

Enfant, la musique n’est pas cette tradition familiale, cette transmission ADN. Pas de musiciens au compteur, pas d’oncle guitariste ou de mère pianiste. “Ni flûte ni harmonica” se souvient-il, un sourire en coin. Non. C’est seul que Tayc va creuser sonsillon. C’est d’abord les clips qui tournent en boucles dans sa télé qui le fascinent. Les clips de Billy Crawford, Usher, R Kelly, Chris Brown. Les couleurs l’attirent, ces images qui s’animent juste pour lui, les chorégraphies, ces petits univers qui se mettent à vivre dans le salon. Aujourd’hui, il n’a pas oublié et accorde un soin tout particulier à l’image à l’heure de réaliser ses propres vidéos. Il est ambitieux, il sait ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. Il n’ignore pas que la musique aujourd’hui, c’est un ensemble. Il ya le son, bien sûr, mais également l’apparence, le décorum.

Les amateurs d’étiquettes trop faciles parleraient pour qualifier sa musique de pop urbaine. Comme s’il y avait de la pop campagnarde... Tayc mérite mieux que ça. Il fait du R&B, ce gros mot dans les années 90, quand les rappeurs ricanaient publiquement des chanteurs, qu’ils écoutaient pourtant en cachette, quand ils n’avaient plus à prouver leur virilité. “Plus jeune, limite, je me cachais pour chanter avec des potes. C’était une dinguerie ! ” Cette mode idiote et hypocrite est heureusement obsolète en 2020.

Le R&B doit moins au rap que l’inverse. Il est la base, la fondation, l’origine. Il est cette voix qui chante l’amour, la souffrance, et qui offre le répit, la communion, l’espoir. Marvin Gaye, pour ne citer que lui, l’a prouvé pour l’éternité. Bref. Tayc est un crooner des temps modernes. R&B, chanson, tant que ça ne ment pas, il prend. Et il s’apprête à sortir son premier véritable album après quatre mix-tapes. Un premier album au titre magnifique : “Fleur Froide”.

Explications : “Pour moi, depuis mes débuts, j’ai imaginé la fleur comme une femme. Mon symbole, c’est une rose fanée. Je l’ai même en pendentif. Pourquoi fanée ? Parce que beaucoup de femmes ont des souffrances en elles, toute femme a souffert dans sa vie, que ce soit en amour, en amitié, au travail. Avec ses enfants, en famille... Et pour moi, “Fleur Froide”, c’est l’apothéose de la souffrance d’une femme. Elle en a tellement bavé qu’elle en est devenue froide. Elle ne ressent plus rien. Son coeur, son corps, sont glacés. Et moi, je suis là pour les réchauffer. Le cliché de la femme soumise, réduite à son physique, c’est juste désolant. Si j’aborde tout le temps cette thématique, c’est peut-être parce que j’ai grandi avec beaucoup de femmes. C’est toute mon enfance. Ma mère avait sept soeurs ! Elles m’ont bercé...”.

Que les cyniques se rassurent : Tayc n’a pas choisi la femme comme fil rouge pour ses chansons comme d’autres optent pour la violence à des fins stratégiques, marketing. Il suffit d’entendre ce disque pour s’en convaincre. Il ne triche pas. Tayc n’est pas non plus monomaniaque. Il peut chanter aussi la réalité des rues, les violences policières, l’aliénation sociale. Il a le temps. Il a la voix qu’il faut. Sur le disque, il évoque aussi son existence, les galères inhérentes à l’exposition, les réseaux impitoyables, les identités falsifiées, comme sur le titre “Cette Vie”, introduction impeccable. Mais il est conscient d’une chose cruciale : aujourd’hui, la haine est à la portée de n’importe qui. Et l’amour un combat difficile.

Il y a une très belle chanson sur l’album, “Qui”. Où, derrière la femme, encore, il y a Dieu. Son âme, Tayc, n’est pas prêt de la solder sur Amazon. Ce disque est évidemment accompagné d’une pochette. Une pochette oxymore, où la beauté du visuel en percute la représentation : on y voit Tayc touché par une balle, adossé à une voiture, le corps comme recouvert de fleurs aux mille couleurs. Et là encore, rien de gratuit mais un vrai concept : “En fait, cette pochette, c’est la première partie d’une situation. Je me suis fait tuer, on ne sait pas pourquoi, ni par qui. Je suis juste mort. Il faudra attendre les prochains mois, après la sortie du disque, pour comprendre ce qu’il s’est réellement passé...”. Patience donc.

Mais ce qui frappe surtout en écoutant ce “Fleur Froide”, c’est la richesse des influences, la profondeur des arrangements. On passe du jazz à la pop, du R&B à une sorte de soul moderne, on traverse les continents. C’est le fidèle BARACK ADAMA qui a produit la chose. Et NYADJIKO, BLACKDO ET DSK ON THE BEAT qui en sont les beatmakers. Il y a quelques feats aussi : CHRISTINE AND THE QUEENS, TIWA SAVAGE, LETO, CAMILLE LELLOUCHE. Il y a plusieurs mondes qui se  rencontrent. Tayc est autant un enfant de l’Afrique que de l’Europe et des États-Unis. Même de l’Asie (il parle avec enthousiasme de certaines productions sud-coréennes). Il a tout assimilé, tout digéré, sans jamais se hâter, pour, finalement, dessiner sa propre identité artistique et c’est assez impressionnant. “Je préfère attendre cinq ans pour sortir un album digne de “Thriller” que de me précipiter et sortir une merde” précise-t-il. La voix de la raison. La production est massive, sans jamais rien écraser. On sent sur ce disque un esprit vivant, live, comme si l’on était en studio avec les protagonistes. Si l’on devait faire un parallèle, des artistes comme The Weeknd ou Bruno Mars possèdent ce même esprit, cette capacité à mêler les genres sans jamais se perdre.

Ils ne sont pas nombreux de nos jours ceux capables de ça. La musique est une histoire pleine de mystères, elle tend un fil invisible qui relie les époques, les générations. Tayc a posé sa main sur ce fil. Il ne disparaitra pas dans le labyrinthe. Il a trouvé sa voie.


Il y a vingt ans, Tayc aurait été au mieux choriste. À l’arrière plan. “Le R&B, avant, c’était Voldemort (rires), c’était interdit d’en parler !”. En 2020, il est devant, tout devant. Gims, Dadju ont ouvert une porte. Qui ne se refermera plus. Tayc est un chanteur. Un chanteur d’aujourd’hui. Avec la passion chevillée au corps et une voix qui sait exister sans effets spéciaux ni gadgets. L’avenir lui appartient.

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